Publié dans Liberation, par le rabbin Yeshaya Dalsace

Le projet de loi visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe déclenche, depuis la rentrée, des oppositions fortes venant notamment de l’Eglise et de spécialistes, pédopsychiatres ou psychanalystes.

Cette ouverture possible du mariage civil et de l’adoption est-elle une «menace» pour la famille ou l’équilibre des enfants ? Va-t-elle bouleverser les lois de la procréation ? Ce projet peut-il aussi être l’occasion de repenser les normes sexuelles ?

Un écrivain, une psychanalyste, un rabbin et un sociologue répondent.

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On assiste ces derniers temps à un débat houleux sur le bien-fondé ou non du mariage homosexuel. Que cette question fasse débat, rien de plus normal, chacun y allant de son argument. Je m’étonne, par contre, de la part prise par les religions, avec en tête les avertissements apocalyptiques du primat des Gaules.

L’opposition des grandes religions à l’homosexualité est connue, basée sur des textes condamnant les déviations sexuelles, la fornication et bien entendu l’inceste, en particulier le chapitre 18 du Lévitique. Fort bien. Cependant, le débat mérite d’être recentré. D’une part dans les religions elles-mêmes, il existe un débat interne et les perspectives sur la question de l’homosexualité ont beaucoup changé à la lumière des récentes études sur ce phénomène. Seuls les fondamentalistes continuent à tenir un discours agressif contre les homosexuels, les autres les tolèrent a minima et, dans les cercles plus progressistes, on leur fait même ouvertement bon accueil. C’est particulièrement vrai du judaïsme américain très en pointe sur la question et qui compte un certain nombre de rabbins ouvertement homosexuels. Mais c’est aussi vrai de diverses obédiences chrétiennes. C’est pourquoi les représentants médiatisés des différents cultes en France ne reflètent pas forcément la réalité de leur religion respective, autrement plus complexe et nuancée.

Mais je m’étonne surtout de l’immixtion de la voix religieuse dans un débat civil. La République française a inventé le mariage civil totalement détaché de sa dimension religieuse, il y a ajouté le divorce contre l’approbation de l’Eglise. Les citoyens qui le désirent peuvent compléter la dimension civile par un mariage religieux de leur choix, à la condition de répondre aux critères émis par cette religion. Du point de vue de l’Etat, cette cérémonie religieuse est une affaire privée. Il va de soi que les conceptions religieuses de la famille, de la sexualité, de la procréation, de l’éducation ne concernent que ceux qui s’engagent dans un mariage religieux et s’y reconnaissent. Le mariage civil républicain a lui-même évolué au cours de ses deux siècles d’histoire. C’est dans ce contexte que le débat sur le mariage homosexuel doit avoir lieu. L’Etat doit traiter de cette question en tenant compte de la réalité de la société et dans l’intérêt de la protection de ses citoyens, homosexuels compris, des conjoints et des enfants et non pour défendre une conception religieuse de la famille. Il en est de même pour la question du divorce. Libre aux religions de suivre ou non.

La véritable question n’est donc pas celle des tabous religieux qui ne sont pas concernés par ce débat civil, mais celle du bien-fondé d’une décision qui touche la parentalité et le droit de la famille. Ouvrir le mariage aux homosexuels, c’est leur offrir une meilleure reconnaissance d’un état de fait de couples existants et parfois pacsés, offrir une meilleure protection juridique au conjoint, ouvrir la voie à l’adoption, tenir compte d’une homoparentalité existant déjà. Est-ce une bonne chose ? Des études sérieuses sur les précédents dans d’autres pays et sur l’homoparentalité peuvent y répondre, mais cela relève de la sociologie et de la psychologie et non de la religion. Tout au plus ma tradition religieuse peut influencer mon opinion de citoyen. Si cette réforme est votée, les religions seront libres de donner ou non leur bénédiction à de telles unions, mais dans une république laïque, ce débat ne les regarde pas spécifiquement. Sinon, à quoi bon les cérémonies religieuses en plus du mariage civil ?