Publié dans le Times of Israel

Pour Kippour, cette année, comme tous les ans, avec ferveur, nous lirons le Lévitique. La majorité d’entre nous n’y verra rien de remarquable, mais pour certains d’entre nous – une minorité soit – c’est une véritable torture.

Le jour du Grand Pardon, jour sacré parmi les jours sacrés, un des jours les plus fédérateurs qui parvient même à attirer les plus récalcitrants d’entre nous dans les synagogues, est aussi un jour qui divise : le jour du Grand Paradoxe pour les homosexuels.

Le jour du Grand Pardon, le tristement fameux interdit du Lévitique 18 .22* est lu.

Lorsqu’on est Juif et Gay, la lecture de ce texte s’abat sur nous, telle une sentence sans appel. Ce verset écorche nos oreilles. Parce que nous sommes Juifs et Gays, nous sommes condamnés alors pour ce que nous sommes. Dès lors, quelque soit la force de notre repentir, quelque soit la sincérité de nos excuses, quelque soit la qualité de notre jeûne… il n’y aura aucun pardon pour nous.

La rédemption nous est refusée. Si nous persistons dans notre « mode de vie », nous sommes condamnés à être les damnés de la communauté !

Alors en ce jour de recueillement, je m’interroge face aux voies qui nous sont alors proposées.

Devrions-nous nous repentir d’être qui nous sommes, tout en sachant que nous reviendrons ensuite à nos « amours interdites » ? Cela ne reviendrait-il pas à être pris au piège, tel Sisyphe, dans une vie spirituelle vidée de sens ? Comment pourrions-nous nous élever en suivant une voie si hypocrite ?

Mais alors pourquoi persister à prier dans les synagogues le jour de Kippour si toute rédemption nous est inaccessible ? La double identité ne serait-elle pas illusoire ? Devrions-nous déserter toute vie religieuse afin de pouvoir espérer nous épanouir dans notre vie amoureuse ?

Être juif ET gay ressemble parfois à une voie sans issue. Mais dans le fond, quelles fautes avons-nous donc commis pour être ainsi voués aux gémonies ?

  • Un tort envers autrui ? Non, car ce sont des histoires d’amours entre personnes consentantes.
  • La destruction de Sodome & Gomorrhe ? Nous savons bien qu’il s’agit ici d’un amalgame, né d’un malheureux raccourci dû à l’étymologie supposée du mot sodomie. Mais en fait, si Sodome et Gomorrhe ont été détruites, c’est en raison de l’absence de bonté dans le cœur de ses habitants et le mauvais traitement qu’ils infligeaient aux étrangers. De surcroît, cette confusion s’alimente du fait que les habitants ont demandé à « connaitre » – au sens intime du terme – les étrangers recueillis par Loth.
  • Un danger d’extinction pour la société ? L’homosexualité n’est pas « contagieuse »  et reste par définition minoritaire. Par ailleurs, de nos jours, de nombreux gays sont déjà des parents.
  • Un comportement contre nature ? L’homosexualité est également présente dans le règne animal et à ce titre fait partie intégrante de la nature. Notons d’ailleurs que les avancées de la science nous invitent à repenser considérablement nos certitudes. En effet, il a été récemment démontré par le biologiste spécialiste en neurobiologie Jacques Balthazart, que l’homosexualité n’est pas quelque chose qui s’acquiert, pas plus que l’hétérosexualité, mais que l’occurrence, ou non, d’un pic de testostérone subi par le fœtus influerait considérablement sur l’orientation d’un être. Voilà qui invite à réfléchir, par exemple… Ainsi donc, si l’on se fie à ces études, se repentir d’être homosexuel reviendrait à renier qui nous sommes, à refuser d’être telle que la nature nous a fait, à devenir contre-nature.
  • Le refus de l’altérité ? Parce que la seule altérité possible est sexuelle ? L’altérité c’est l’autre, et l’accepter dans sa différence c’est faire œuvre d’humanité. En revanche, que penser des homophobes ? Ne refusent-ils pas, eux-mêmes, l’altérité, en refusant d’accepter que d’autres formes d’amours sont possibles ?

Nous, Peuple des Lumières, pouvons-nous être aussi définitifs, sans même chercher à comprendre un tant soit peu le fondement de la loi ? La Torah n’est-elle pas vivante ? Ne doit-elle pas être sans cesse questionnée afin de continuer à nous livrer encore et pour toujours tous ses secrets. N’est-ce pas notre devoir, à nous, le peuple juif, de poser les questions qui dérangent, de franchir les barrières, de recontextualiser nos textes pour toujours mieux y adhérer.

On ne compte plus les rabbins et les membres de la communauté qui nous rappellent l’interdit sexuel. Sexuel encore, comme s’il ne s’agissait que de relations organiques et jamais d’amour !

Certains d’entre eux, à bout d’argument, finissent par asséner « Torah Emet » – la Torah est vérité – pensant ainsi pouvoir couper court à toute discussion. Mais n’est-ce pas un peu court précisément, comme argument, pour un sujet aussi complexe que l’équilibre difficile à trouver entre ses amours et la foi que nous partageons ? Équilibre si complexe qu’il nous serait impossible à trouver parce que « Torah Emet » et tant pis si ça ruine la vie de bon nombre d’entre nous ?

Nous le constatons. L’origine de la faute reste un mystère alors que la condamnation est sans appel. Pourtant, la justice suit un schéma simple : un tort causé déclenche une sentence. Or, ici nous avons une condamnation (à mort même) mais pas de faute. Où est le respect du droit le plus élémentaire dans ce cas ?

Une dernière tentative d’explication nous est proposée par le rabbin orthodoxe Steven Greenberg. Selon lui, la Torah ne reconnaît pas les individus homosexuels mais seulement l’acte. Si on se fie donc à ce postulat, tout le monde serait hétérosexuel. La Loi Juive se trouverait alors dans l’incapacité d’envisager une relation consentie et désirée entre hommes (et encore moins pour les femmes). Une relation homosexuelle ne pourrait être qu’un viol. Le coupable, ignorant son orientation sexuelle naturelle (l’hétérosexualité), satisferait donc ses pulsions avec un autre homme qu’il utiliserait comme un substitut féminin.

L’abomination reviendrait à utiliser la sexualité à l’encontre de ses penchants sexuels comme un instrument de pouvoir, de domination et d’humiliation. Un viol de soi-même à l’insu de son plein gré en quelque sorte… Notons au passage que l’amour encore une fois est ici totalement exclu du sujet. De surcroît, le corollaire est qu’un homme pénétré par un autre homme se met au même niveau qu’une femme.

Ainsi donc, si l’on poursuit cette théorie, l’homosexuel rabaisse la condition masculine en remettant en cause l’ordre établi. Je vous laisse apprécier combien cette hypothèse défend clairement une vision misogyne des genres… L’homosexualité menacerait ainsi le maintien des inégalités entre hommes et femmes. Et si l’on devait s’amuser à pousser ce raisonnement contestable jusqu’au bout, nous pourrions estimer alors que les hommes qui pénètrent sans se faire pénétrer à leur tour, seraient exemptés de toute condamnation… ? Étrange argument que celui-ci. Fallacieux pourrait-on dire, si le sujet n’était pas aussi glissant.

Décidément, il semble difficile d’entendre un argument qui ne résume pas tout au sexe.

Je ne peux pas m’y résoudre.

Nous avons passé en revue toutes les fautes possibles. Aucune ne tient la route dans le cadre d’une relation amoureuse consentie. Pourquoi se repentir alors ? Je ne doute pas que des lecteurs redoubleront d’ingéniosité pour me trouver de nouvelles fautes. Et je serai ravi d’en débattre avec eux. Mais en attendant, il n’est aucun cas envisageable de se repentir à Kippour pour son homosexualité !

Cela reviendrait à une forme de suicide psychologique, à petit feu : en s’isolant de par le poids du secret, en se sentant comme des étrangers dans nos propres familles, en vivant des relations amicales feintes, en plongeant dans des affres de frustration… Quant à nos conjoints, victimes collatérales, choisis pour parfaire l’illusion, nous les condamnerions à ne pas connaître le bonheur conjugal mais à une vie de mensonges et de faux-semblants.

Refuser d’accepter qui nous sommes et qui nous aimons ? Refuser d’aimer et d’être aimé ? Et nier ce que nous sommes soit disant au nom de la Torah ? Cela ne se peut car la Torah est la vie. Et la vie est un don divin qu’il nous faut chérir et préserver.

Pour autant, nous sommes encore loin du jour où la communauté juive française reconnaitra l’injustice commise envers ses homosexuels à l’instar de ces rabbins orthodoxes israéliens qui demandèrent pardon l’année dernière, la veille de Kippour, à la communauté gay pour les mauvais traitements infligés. Ce jour semble d’autant plus loin quand nous assistons à l’invitation en grandes pompes par le Consistoire d’un rabbin israélien tristement célèbre pour ses déclarations ouvertement homophobes et ses incitations à la haine.. haine de l’autre… haine de soi.

Alors oui, parfois la question se pose de savoir pourquoi continuer d’aller à la synagogue le jour des Kippour ? Pourquoi persister à aller partager un moment de rassemblement au cours duquel nous serons renvoyé au statut d’ « abominations » ? Pourquoi vivre à nouveau les affres de ce Grand Paradoxe dont la seule issue paraît la schizophrénie et/ou le mensonge ?

C’est une réelle question. Et à chaque fois, c’est la foi qui l’emporte… et il faut vraiment avoir la foi pour se battre comme nous nous battons, afin de pouvoir simplement venir prier et croire tous ensemble

Et également, aucune victoire ne se remporte en appliquant la politique de la chaise vide. Déserter les synagogues reviendrait à occulter à nouveau notre existence et le problème de notre inclusion.

« Puisqu’ils ne veulent pas de nous, créons notre propre synagogue ». C’est la conséquence logique du rejet par les synagogues traditionnelles. En Israël ou aux USA par exemple, des synagogues LGBT ont été créées et battent des records d’affluence. Cette démarche bien que tentante nous pousserait cependant à nous retrancher, à nous ghettoïser… Et ce n’est pas ce que nous désirons.

Au contraire !

Nous sommes Juifs, nous avons grandi ensemble et de même qu’il n’y a pas de mariage gay mais un mariage pour tous, pourquoi ne pas suivre le même chemin pour nous retrouver dans un seul et même lieu : une synagogue pour tous !

Les synagogues libérales et massorti en France travaillent dans ce sens-là. Nous avons pu ainsi assister à des progrès incroyables sur le sujet. Pour ma part, j’ai assisté à des bar / Bat Mistvot d’adultes ouvertement gay, des mariages de même sexe, des drachotes contre l’homophobie.

L’interdit du Lévitique 18 .22 est présent dans la prière de Kippour… mais il est relativisé. Certaines synagogues choisissent d’ailleurs de ne pas le lire pour être plus fédératrices. Une ère nouvelle s’ouvre grâce à l’émergence des synagogues libérales et massorti.

Les synagogues consistoriales, mouvement majoritaire en France, sont réfractaires à cette approche. Un rabbin m’a dit l’an dernier : « Votre orientation, vous la laissez au porte-manteau quand vous entrez dans la synagogue ». C’est une remarque à première vue pertinente. Nous n’avons pas besoin d’afficher notre sexualité quand nous entrons dans une synagogue. Il en est de même pour les opinions politiques. Mais une opinion peut ne pas être dévoilée sans trop de soucis.

Dans notre cas précis, ne pas afficher son homosexualité revient à une amputation douloureuse de son identité car notre orientation a un impact direct sur notre choix de partenaire, sur notre mode de vie, sur nos relations aux autres, sur notre structure familiale. Cela reviendrait à ne jamais évoquer son amoureux, cacher le choix de ne pas avoir d’enfants ou de masquer leur mode de conception, à passer pour un enfant ingrat qui se rend rarement pour les fêtes chez ses parents…

Laisser son orientation au porte-manteau, nous rendre invisible donc une fois de plus, ne peut se faire sans mentir sur notre histoire personnelle. Et là je ne comprends plus ce que l’on attend de nous ? Mentir pour entrer dans une synagogue ? Est-ce la meilleure méthode à employer pour gagner le respect de nos pairs ?

Si j’osais et pour conclure, je dirais que dans nos synagogues, nous avons déjà un placard, le Aron Akodesh. Il n’y a plus de place pour un second placard. Laissez-nous venir prier et faire la fête avec vous. Tous ensemble. Oui, ce qui nous rapproche est plus fort que ce qui nous sépare. Nous désirons juste prier ensemble, avec vous, avec nous, sans avoir à nous cacher, ni à cacher celles et ceux que nous aimons.

Car, après tout, la véritable épreuve de l’homosexualité ne réside pas dans la maîtrise de ses pulsions qui sont naturelles mais dans le rapport à l’altérité : apprendre à aimer l’autre, malgré ses différences, comme soi-même.

Pour tenter de résoudre ainsi le Grand Paradoxe. Il va falloir beaucoup d’amour pour cela, l’amour de son prochain mais également beaucoup de courage afin de réinterroger nos textes sans parti pris.

Résoudre le Grand Paradoxe ne se fera pas demain. C’est certain. Mais cela ne se fera jamais si nous désertons les synagogues.

Nous sommes tous des Bnei Israel.

Nous sommes tous égaux. Ne nous jugeons pas les uns les autres. D ieu le fera quand le temps sera venu. Regardez nous, écoutez nous et vous verrez en nous, tout ce que nous avons à partager.

Nous aspirons à la même vie que vous. Une vie heureuse et emplie d’amour. Nous ne voulons pas changer la société à notre image. Nous voulons juste une place avec vous, une vraie place, identique à la vôtre. Nous ne sommes ni meilleurs ni pires que vous. Nous sommes vos égaux. Nous sommes aussi bien que vous. We are Good As You : We are GAY.

*« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme, c’est une Toevah (traduit par abomination)»